Les monades… Une histoire.

1er janvier 2015

            
Le principe des indiscernables soutient la structure conceptuelle de l'harmonie préétablie de Leibniz. Leibniz dit, en gros, que si vous deviez ressembler à votre voisin, l'un de vous devrait aussitôt disparaître.

Chaque Etre exprime le monde, mais n'en exprime clairement qu'une partie, laquelle se trouve particulièrement dépliée par rapport aux autres parties pliées. Leibniz a ainsi résolu son premier problème de jeunesse, celui de l'identité.

Leibniz a poussé le rationalisme aux extrêmes. L'œuvre achevée, l'harmonie pré-établie, n'offre à la causalité qu'un rôle superflu. Peut-être y a-t-il ici la raison pour laquelle Leibniz n'a pas occupé une place dans la machine de production des concepts kantiens en particulier...

Toutefois, Leibniz n'a pas laissé indifférent Kurt Gödel, Bertrand Russel, Ilya Prigogine ou encore, mais pour des motivations très différentes, Gilles Deleuze qui voit dans la monadologie une beauté rare et des concepts inépuisables.

Les concepts de point de vue et de monade sont très anciens. Mais Leibniz, en introduisant la perspective dans la substance, a introduit un "divers" dans la multiplicité. Diversement j'existe selon des perspectives dans le monde, et diversement le monde existe en moi.

Le système de Leibniz ignore le temps ou plutôt le devenir, comme l'a largement souligné Prigogine. L'harmonie est préétablie par un concept connecteur des monades.

Deleuze déplie...

« Pourquoi quelque chose serait-il plié, sinon pour être enveloppé, mis dans autre chose ? Il apparaît que l’enveloppe prend ici son sens ultime, ou plutôt final : ce n’est pas une enveloppe de cohérence ou de cohésion […] Mais pas d’avantage une enveloppe mathématique d’adhérence ou d’adhésion, où c’est encore un pli qui enveloppe des plis, comme dans l’enveloppante qui touche une infinité de courbes en une infinité de points. C’est une enveloppe d’inhérence ou d’ « inhésion » unilatérale : l’inclusion, l’inhérence, est la cause finale du pli. […] ce qui est plié est seulement virtuel, et n’existe actuellement que dans une enveloppe, dans quelque chose qui l’enveloppe.

Dès lors, ce n’est pas exactement le point de vue qui inclut ; ou du moins, il ne le fait qu’à titre d’agent, mais non de cause finale […] L’inclusion, l’inhérence, a une condition de clôture ou de fermeture que Leibniz énonce dans sa formule célèbre, « pas de fenêtre », et que le point de vue ne suffit pas de remplir. Ce dans quoi l’inclusion est faite, et ne cesse d’être faite, ou ce qui inclut au sens d’acte achevé, ce n’est pas le site ou le lieu, ce n’est pas le point de vue, mais ce qui demeure au point de vue, ce qui occupe le point de vue, et sans quoi le point de vue n’en serait pas un. C’est nécessairement une âme, un sujet. […] L’inflexion est une idéalité ou virtualité qui n’existe actuellement que dans l’âme qui l’enveloppe. […] le monde entier n’est qu’une virtualité qui n’existe actuellement que dans le pli de l’âme qui l’exprime, l’âme opérant des déplis intérieurs par lesquels elle se donne une représentation du monde incluse. »

Le Pli, Leibniz et le baroque. G. Deleuze. Les Editions de Minuit 1988. p.31.


Leibniz plie le continu. Leibniz ondulatoire...

« Une machine naturelle demeure encore machine dans ses moindres parties, et qui plus est, elle demeure toujours cette même machine qu’elle a été, n’étant que transformée par des différents plis qu’elle reçoit, et tantôt étendue, tantôt resserrée et comme concentrée lorsqu’on croit qu’elle est perdue. »
« Mais les atomes de matière sont contraires à la raison : outre qu’ils sont encore composés de parties, puisque l’attachement invincible d’une partie à l’autre (quand on le pourrait concevoir ou supposer avec raison) ne détruirait point leur diversité. Il n’y a que les atomes de substance, c’est-à-dire les unités réelles et absolument destituées de parties, qui soient les sources des actions, et les premiers principes absolus de la composition des choses, et comme les derniers éléments de l’analyse des choses substantielles. On les pourrait appeler points métaphysiques : ils ont quelque chose de vital et une espèce de perception, et les point mathématiques sont leurs points de vue, pour exprimer l’univers. […] les points physiques ne sont indivisibles qu’en apparence : les points mathématiques sont exacts, mais ce ne sont que des modalités : il n’y a que les points métaphysiques ou de substance (constitués par les formes ou âmes) qui soient exacts et réels, et sans eux il n’y aurait rien de réel, puisque sans les véritables unités il n’y aurait point de multitude. »

Système nouveau de la Nature. G. W. Leibniz. Flammarion 1994. p.71.


Proclus, monades et points de vue...

« Ce principe tout premier de l’univers et supérieur à l’intellect, Platon l’a découvert sous l’effet d’une inspiration divine, caché qu’il était en des lieux inaccessibles, et il a présenté comme étant au-dessus du corporel ces trois causes et monades, je veux dire l’âme, l’intellect tout premier et l’Unité supérieure à l’intellect, puis à partir de ces principes comme de monades il produit les séries qui leur sont propres, celle propre à l’Un, celle propre à l’intellect, celle propre à l’âme (car toute monade est à la tête d’une multiplicité coordonnée à elle-même) […]
Si donc le divin peut être connu de quelque manière, il reste que ce soit par la pure existence de l’âme qu’il soit saisi et, par ce moyen, connu pour autant qu’il peut l’être. En effet, à tous les degrés nous disons que le semblable est connu par le semblable […] C’est pourquoi Socrate a raison de dire dans le Premier Alcibiade que c’est en rentrant en elle-même que l’âme obtient la vision non seulement de tout le reste mais aussi de dieu. Car en s’inclinant vers sa propre unité et vers le centre de sa vie entière et en se débarrassant de la multiplicité et de la diversité des puissances infiniment variées qu’elle contient, l’âme s’élève jusqu’à cet ultime point de vue sur tout ce qui existe. […] dans la considération de l’univers l’âme, en regardant ce qui vient après elle-même, voit les ombres et les images de ce qui existe, mais lorsqu’elle se tourne vers elle-même, elle explicite son propre être et ses propres raisons ; et d’abord, c’est comme elle se voyait elle-même seule, ensuite en s’enfonçant dans cette connaissance de soi-même, elle découvre en elle l’intellect et les degrés de la hiérarchie des êtres, quand enfin elle s’établit dans l’intérieur d’elle-même et pour aussi dire dans le sanctuaire de l’âme, par ce moyen elle contemple les yeux fermés et la classe des dieux et les hénades de ce qui existe. En effet, toutes choses se retrouvent aussi en nous mais sous le mode de l’âme, et par là il est dans notre nature de tout connaître, en réveillant les puissances qui sont en nous et les images de la totalité des êtres. »

Théologie platonicienne, Proclus (412-485 après J-C). Livre I - p.14. Les belles Lettres. 2003.
(La première et unique édition remonte à 1618. L'édition de 2003 nous est donc un événement !)


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